Page 33 - gregory charles
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n’avait plus d’importance; je m’en foutais! Ce qui était vi-
processus créatif; de la pure création! Si j’étais sculpteure, j’aurais sculpté cette histoire. Les auteurs, les artistes, tal, c’était d’écrire. J’ai plongé et j’ai ainsi réalisé un rêve
les créateurs, témoignent de leur vision du monde. Bien d’adolescente. J’ai cependant mis beaucoup de temps à
l’écriture, car je gagnais ma vie comme actrice en même
sûr, c’est coloré par l’expérience de chacun qui est réelle. L’expérience fait la différence quant au contenu, mais pas temps.
à la forme, car la forme, c’est l’artiste. Je n’ai aucun regret QUAND VOUS AVEZ PUBLIÉ LE FLEUVE (LEMÉAC), EST-CE QUE VOUS SAVIEZ DÉJÀ
d’avoir raconté cette histoire, à cause de la pudeur dans QUE TROIS AUTRES ROMANS SUIVRAIENT; QUE CE SERAIT UNE SÉRIE ?
mon écriture. Ce n’est pas comme un gros vomi de rage En fait, j’avais écrit ça d’un trait, en quatre chapitres. Mais
et surtout, ça n’a pas du tout la texture d’un règlement de au moment d’envoyer le tout à la maison d’édition, je me
compte. C’est un hommage à la résilience de ma famille; suis dit : c’est trop ambitieux! Humblement, je sentais que
à notre combativité devant les épreuves, à notre force de c’était excessif. J’ai donc laissé de côté les trois autres et
caractère et à notre amour sincère et profond.
je me suis concentrée sur Le Fleuve. Je ne regrette pas
Lorsque je rencontre des lecteurs, plusieurs me partagent d’avoir publié un livre à la fois, en des années différentes.
leur expérience personnelle et profitent de l’occasion pour VOUS AVEZ EU DES CRAINTES OU DES HÉSITATIONS LORS DE L’ÉCRITURE DU PAR-
s’ouvrir le cœur. Ils me parlent souvent aussi de leurs ex- COURS DE VOTRE VIE ET DE CELLE DE VOTRE FAMILLE ?
périences et de leurs souvenirs avec le fleuve; image in- dissociable de notre Québec sublime et immense. C’est Non, j’ai plongé sans hésitation. Je pense que tous les
très profond... Les gens se confient et se connectent à auteurs sont en quête de vérité. Là où c’est créatif, c’est
leur sensibilité. Il y a aussi une espèce de compassion dans la façon de le dire. Autrement, on parle de ce qu’on
pour ce que j’ai vécu, mais aussi envers eux-mêmes; ça connaît. J’ai écrit des choses très dures, grasses et dou-
les aide à reconnaître leurs propres blessures et la façon loureuses, mais toujours de manière très pudique. Ce
qu’ils ont eue de les dépasser, de les transcender. C’est n’était pas facile, mais mes sœurs ont reconnu et ont ap-
ce que je ressens quand je rencontre les lecteurs.
précié cette pudeur. Ma famille a bien réagi.
À L’AUTOMNE 2019, LA METTEURE EN SCÈNE ANGELA KONRAD A ADAPTÉ VOTRE CINQ ANS ONT PASSÉ DEPUIS QUE VOUS AVEZ MIS LE POINT FINAL À CETTE SÉRIE
TÉTRALOGIE FAMILIALE AFIN D’EN FAIRE UN SPECTACLE, FLEUVE. VOUS ÊTES MON- PERSONNELLE, À LA FOIS DOULOUREUSE, ÉMOUVANTE, PERCUTANTE ET REMPLIE
TÉE SUR LA SCÈNE DU THÉÂTRE DU NOUVEAU MONDE POUR INTERPRÉTER VOTRE D’ESPOIR. AVEC LE RECUL, EST-CE QUE CETTE HISTOIRE, QUI EST LA VÔTRE, VOUS
VIE. QUE RETIREZ-VOUS DE CETTE EXPÉRIENCE ?
HABITE ENCORE DE LA MÊME FAÇON ?
J’y repense et c’est tellement flyé (rires)! C’était une mise Pour moi, ce n’est pas thérapeutique d’écrire. C’est un
en scène extraordinaire, tout en sobriété et avec des pro-
© MATHIEU DUPUIS
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